iche de lecture "l'acteur et le systeme"
L'Acteur et le Système
michel crozier et ehrard friedberg, 1977, rééd. Seuil, coll. « Points essais », 1992.
Evelyne Jardin
1977 michel crozier et ehrard friedberg
Acteur, pouvoir, incertitude, système sont les piliers de l'analyse stratégique qu'élaborent Michel Crozier et Ehrard Friedberg dans cet ouvrage très dense. Ces nouveaux outils conceptuels permettent d'entrer dans la boîte noire du fonctionnement des organisations et d'analyser l'action collective et le changement social. L'organisation n'est pas une « donnée naturelle » mais un « construit social » ; il faut en étudier les enjeux, les intérêts, les règles du jeu et comprendre les stratégies développées par les acteurs. Les auteurs assimilent les individus à des « acteurs » et non à des agents passifs qui exécutent des consignes.
Des acteurs rationnels ?
Influencés par la théorie des jeux (alors en pleine expansion outre-Atlantique), ils postulent que les individus élaborent des stratégies en fonction de buts personnels qui entreront parfois en contraction avec ceux de l'organisation. Donc, les acteurs sont rationnels mais pas complètement, à la différence de l'Homo oeconomicus. Les auteurs reprennent le modèle de March et Simon : la rationalité des acteurs est « limitée » et « contingente ». De plus, le pouvoir est partout, selon ces deux sociologues : « Le pouvoir est un mécanisme quotidien de notre existence sociale que nous utilisons sans cesse dans nos rapports avec nos amis, nos collègues, notre famille, etc. » Partout et donc pas nécessairement là où on l'attend, c'est-à-dire en haut de la hiérarchie, car le pouvoir prend sa source dans les relations interpersonnelles. Dans le cas de la Seita étudié par Crozier dans Le Phénomène bureaucratique (1962), les agents d'entretien et de réparation ont conquis un pouvoir considérable sur les ouvriers de la production, car ce sont eux qui ont déterminé la fréquence et la durée des arrêts des machines. C'est cette maîtrise du temps qui les a dotés d'un pouvoir informel. La possession de compétences spécifiques, la détention d'informations, un noeud de communications sont autant de sources de pouvoir.
Acteur, pouvoir mais aussi incertitude. Pour Crozier et Friedberg, il existe dans toutes les organisations des espaces de liberté qui se logent dans des interstices (nommés « zones d'incertitude ») sur lesquels les acteurs vont jouer et dont ils vont se jouer.
Jouer sur l'incertitude.
Bref, rien n'est figé et toutes ces interactions entre acteurs, la poursuite de leurs stratégies, l'utilisation des zones d'incertitude aboutissent à la constitution d'un système d'action, plus ou moins stable. L'objectif de l'analyse stratégique est de révéler toute cette construction sociale.
Cet ouvrage est fort ambitieux puisqu'il entend construire une sociologie générale détachée du fonctionnalisme et de toute approche déterministe. Mais c'est plutôt grâce à leur sociologie appliquée aux organisations que ses auteurs ont acquis leur notoriété. Le Centre de sociologie des organisations, fondé par Crozier en 1961, est devenu le principal foyer de la recherche appliquée en sociologie. De nombreuses études seront menées dans des organisations publiques et privées. Il sera aussi une pouponnière de futurs chercheurs : Renaud Sainsaulieu, Jean-Claude Thoenig, entre autres, y feront leurs armes...